4 décembre 2024
61ème colloque de l'Association de Science Régionale de Langue Française (ASRDLF)
6 janvier 2022
Dominic Villeneuve est Professeur adjoint à l’ESAD depuis l’automne 2020. Spécialiste de la mobilité et des transports, son parcours de chercheur l’a amené à étudier en Ontario, en Suisse et en Allemagne. Fort de ses expériences, Dominic concentre ses efforts au développement de projets de recherche qui permettront de mieux comprendre les enjeux reliés à la mise en place d’infrastructures de transports collectifs dans les petites et moyennes villes.
Depuis combien de temps faites-vous de la recherche ?
En 2008, après 12 ans de carrière chez Microsoft à Toronto, j’ai voulu étudier pour devenir fonctionnaire. Je voulais faire un métier qui allait me permettre de redonner à ma communauté et contribuer à réduire les inégalités sociales. Anne Mévellec, une de mes Professeures au Baccalauréat en administration publique (Université d’Ottawa), a remarqué mon un profil atypique. En Ontario, l’entrée à l’Université se fait 16-17 ans alors que moi j’avais 33 ans. J’ai été embauché comme assistant de recherche et ensuite j’ai continué à la maîtrise avec une thèse portant sur les Partenariats-Public-Privé pour les projets de tramway au Canada. Je lisais des articles écrits par Vincent Kaufmann du laboratoire de sociologie urbaine de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne et je me disais « wow, Quelle chance d’avoir un tel boulot ». Quand j’ai remis mon travail de fin de session, ma superviseure m’a recommandé d’aller faire un doctorat avec l’équipe de ce laboratoire en Suisse. J’ai donc développé un plan de recherche de doctorat que j’ai présenté à Vincent Kaufman. Heureusement, ce dernier m’a offert un salaire -en complément bourse du CRSH- pour que je puisse aller poursuivre mes études en Suisse.
Pourquoi avez-vous choisi de faire carrière en recherche ?
Ma motivation était de contribuer à une plus grande justice sociale. Je trouve ça insensé, par exemple, de savoir que quelqu’un ne puisse pas se rendre chez un médecin parce qu’il n’a pas de voiture. Quand j’habitais en Ontario, j’étais très impliqué dans la communauté franco-ontarienne. Avec le comité de quartier, on a fait construire une bibliothèque et un centre communautaire francophone. À l’époque où je travaillais chez Microsoft, mon patron et moi avons convaincu l’entreprise de faire une version de Hotmail en français. Je suis un activiste et c’est parfois difficile pour un chercheur car notre rôle est de documenter, analyser et alimenter les réflexions en fonction des résultats des projets de recherche. À l’occasion, je relis l’ouvrage « le savant et le politique » du sociologue Max Weber afin de m’aider à repositionner mon rôle de chercheur. Explorer et donner des outils à nos décideurs pour qu’ils soient en mesure d’améliorer leurs pratiques et atteindre des objectifs sociaux et environnementaux, telle est ma motivation.
Comment vous décrivez-vous en tant que chercheur ?
Je suis un spécialiste des transports et de la mobilité mais dans une perspective interdisciplinaire. J’ai recours à des concepts de sociologie urbaine, de l’administration publique, de la géographie des transports, de l’architecture, etc. Je m’intéresse à voir le territoire comme un tout et essayer de le comprendre. Le programme en ATDR est génial pour ça, les différents points de vue des étudiants alimentent les réflexions. À chaque semaine, mes étudiants et moi avons une discussion sur l’actualité et on parle des nouvelles en transport.
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Je travaille sur un projet avec les collègues Jean Dubé, Alexandre Lebel et nos auxiliaires de recherche : Maxime Chamberland et Pierre Paul Audate. Le projet s’intitule « Pour en finir avec la dépendance à l’automobile ». Financé par le CRSH et Infrastructures Canada, l’objectif est d’identifier les angles morts de la recherche en transport durable que nous aurions avantage à financer dans le futur pour s’assurer que les budgets en infrastructures sont investis de façon cohérente avec les résultats des études. Le projet inclut une scooping review sur le transfert modal (i.e. : changement de mode de transport). On a terminé la revue de la littérature et maintenant on est en train de re-cartographier nos articles pour essayer d’extraire des éléments pour faire une méta-analyse. Les gouvernements et la Ville de Québec s’apprêtent à dépenser 3 milliards de dollars pour un tramway, il faut s’assurer qu’il soit efficace pour que le transfert modal fonctionne.
Comment vos liens avec la pratique professionnelle, vos collaborateurs ou vos étudiants nourrissent-ils vos recherches ?
L’an dernier, dans le cadre de l’essai-laboratoire, on a travaillé avec le bureau de la mobilité durable de Lévis. Ces collaborations avec des fonctionnaires m’aident à comprendre leurs points de vue et à vulgariser les résultats de la recherche. Cette année, on travaille sur la côte de beaupré et l’Ile d’Orléans et on collabore avec l’organisme PLUMobile qui fournit le transport collectif dans ce secteur-là. C’est un contexte dans lequel j’apprends à connaitre leurs défis, leurs difficultés.
Travailler avec les autres professeurs me permet de connaître les outils de diverses disciplines. Par exemple, les scoping review, je n’en n’avais jamais fait. Ce ne sont pas des approches méthodologiques très courantes en transports, mais beaucoup plus dans le domaine de la santé. En combinant nos expertises, on a réussi à proposer quelque chose de novateur au CRSH.
Nos étudiants sont allumés et très ouverts. Ils peuvent nous dire ce qu’ils n’ont pas compris ou ce qui les intéressent, la communication est facile, ils sont habitués d’avoir de la rétroaction. C’est comme ça que je vois mon rôle de professeur, donner une rétroaction, que ce soit positif ou négatif.
Quel est votre devise ? Quelle est votre hypothèse ?
En mobilité durable, on peut faire mieux, on doit faire mieux, on va faire mieux ! Mon discours est très engagé. Je veux faire partie de la solution. C’est notre rôle de chercheur en aménagement du territoire d’éclairer les décisions.
Quelles pistes souhaitez-vous explorer dans vos recherches futures ?
Mes intérêts de recherche se déclinent en trois axes où il y a du potentiel de développement. Le premier axe s’intéresse au rôle social des transports, qui à mes yeux, ne passe pas inaperçu. On n’a qu’à penser au vieillissement de la population, il y a de plus en plus de gens qui n’auront plus le permis de conduire. Il y a des personnes qui n’ont pas les moyens de conduire, et pas seulement en ville. Dans le domaine des études urbaines, on s’intéresse à Montréal, Paris, Tokyo, Londres, mais qu’en est-il de Québec, Trois-Rivières, Gatineau, Sherbrooke ? C’est un défi intellectuel car la recherche est moins développée à l’échelle des petites et moyennes villes.
Le deuxième axe est en lien avec l’atténuation de la dépendance à l’automobile. J’ai rencontré 10 fonctionnaires à Québec et à Strasbourg, c’est clair qu’ils savent qu’on a un a un problème pernicieux ( wicked problem ) et que l’on manque de solutions pour le résoudre. Comment je fais pour limiter l’étalement urbain ? C’est un pan de recherche important de savoir ce qui nous bloque pour trouver des solutions visant lutter contre la dépendance à l’automobile.
Le troisième axe s’intitule « Gouvernance et transférabilité des aménagements ». Ça revient à la question des échelles de l’Axe 1, on développe un beau tramway à Québec mais est-ce qu’on peut y penser à une autre échelle pour pallier cet angle mort en études urbaines sur les villes petites et moyennes villes ? Est-ce qu’on peut prendre les outils qui sont développés pour les plus grosses villes et les adapter à une échelle différente, un territoire différent, un aménagement différent.
Comment voyez-vous l’avenir de la recherche en aménagement du territoire ?
Elle sera importante, oui, mais aura-t-on le financement nécessaire pour faire la bonne recherche ? J’en suis moins certain. Au Canada, il y a un désinvestissement de la recherche en aménagement. À Munich, notre projet de recherche était de 1,2 millions d’Euros et ça permet d’investir le territoire et essayer des choses. Au Québec, ce qui est positif, c’est l’ouverture des praticiens pour développer des projets en partenariat. Les acteurs du terrain ont une ouverture pour travailler en collaboration avec les chercheurs.